La Cour de cassation s’est prononcée en affirmant la validité au regard du droit français de l’apport de titres à l’assureur au titre de primes.
Ce qu’il faut retenir
– La Cour de cassation juge que l’apport de titres à un assureur luxembourgeois au titre de primes n’est pas contraire au droit français.
– Cette position pourrait être transposable à l’ensemble des assureurs.
Conséquence pratique pour l’assurance vie au luxembourg
L’intérêt d’un apport de titres nous semble limité car :
- l’apport est une cession générant plus-value, alors que la transmission par donation ou succession purge la plus-value privée ;
- la fiscalité transmissive « Dutreil », quand elle est applicable, est plus favorable que la fiscalité assurance-vie.
Pour aller plus loin
Contexte
Le marché luxembourgeois, pour les résidents français, est un marché récent qui progresse, mais dont le chiffre d’affaires et l’encours total demeurent relativement faible par rapport à l’ensemble du marché français.
Les primes émises en France et collectées par des assureurs résidant dans d’autres pays passent par deux vecteurs, la libre prestation de services ou la liberté d’établissement. Parmi tous ces assureurs qui opèrent depuis l’étranger, les sociétés localisées au Luxembourg représentent 95 % des primes collectées. En effet, le Luxembourg offre souplesse règlementaire et fiscal (absence de retenue à la source sur intérêts).
Les filiales luxembourgeoises d’assureurs français représentent également une part substantielle de cette collecte.
Les contrats de fonds dédiés ne sont plus soumis, depuis le 1er mai, à l’obligation de prime minimale de 250 000 euros.
Une audition au Sénat en mai 2015 a notamment traité de ces contrats.
L’ACPR et l’administration fiscale s’étaient montrées réservées sur la validité de l’apport de titres à l’assureur au titre de versement de primes. elles relevaient que l’appréciation de légalité relève des juges civils, néanmoins, en cas d’illégalité prononcée, elles s’étaient dites à même d’en tirer les conséquences…
La Deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée dans l’arrêt du 19 mai 2016, publié au Bulletin et qui sera également présent dans le Rapport annuel de la Cour.
Ces publications font état de l’importance qu’accorde la Cour à cette décision.
Faits
– Une personne physique a conclu avec la société de droit luxembourgeois Natixis Life un contrat d’assurance sur la vie à fonds dédié dénommé « Premium vie » dont la prime devait être versée sous forme d’apport de titres ;
– En vue du règlement de cette prime, le souscripteur a ouvert le 21 novembre 2005 un compte titres dans les livres de la société de droit luxembourgeois Natixis Bank et donné instruction à cette dernière le 23 mars 2006 de souscrire des parts du fonds Groupement financier, organisme de placement collectif de valeurs mobilières de droit des Iles Vierges Britanniques et de transférer ces titres sur son contrat d’assurance ;
– La société Natixis Bank a procédé à cette souscription le 31 mars 2006 ;
– La société Natixis Life a ensuite adressé à l’assuré un exemplaire de son contrat ainsi qu’un relevé de situation du capital investi ;
– Les actifs du fonds Groupement financier étant intégralement investis auprès de la société Bernard Madoff Investment securities (la société BMIS), la faillite de cette société a entraîné une importante perte financière pour l’assuré.
– Il a alors assigné les sociétés Natixis Life et Natixis Bank, principalement en annulation du contrat d’assurance vie et de l’ordre d’achat des parts du fonds Groupement financier et subsidiairement en paiement de dommages-intérêts.
– la Cour d’appel de Versailles a rejeté les demandes de l’assuré.
– L’assuré s’est pourvu en cassation notamment en arguant :
- « qu’est nul, comme contraire à l’ordre public, le contrat d’assurance-vie portant sur des actifs dédiés fermés qui permet au souscripteur de payer ses primes par un apport de titres ;
qu’en énonçant qu’aucune disposition légale ne prohibe que le paiement des primes d’un contrat d’assurance-vie s’effectue par apport de titres, la cour d’appel a violé l’article L.113-2 du code des assurances, ensemble les articles 6, 1128 et 2013 du code civil. » - que l’assureur était responsable d’un défaut d’information et de conseil.
Arrêt
– Les juges énoncent que « si le droit français n’envisage le versement des primes d’assurance qu’en numéraire, aucune disposition légale d’intérêt général ne prohibe la distribution en France par un assureur luxembourgeois de contrats d’assurance sur la vie qui sont régis par la loi française mais dont les caractéristiques techniques et financières relèvent du droit luxembourgeois conformément à l’article 10-2 de la directive 2002/83/CE du 8 novembre 2002 et permettent l’apport de titres sur des fonds dédiés fermés. »
Par conséquent ils jugent que « c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que le contrat d’assurance sur la vie souscrit par M. X… auprès d’un assureur de droit luxembourgeois était valable. »
– Les juges ajoutent que « les titres du Groupement financier relevaient de la loi du pays où se trouvait la société émettrice et donc du droit des Iles Vierges Britanniques, c’est par une interprétation souveraine de cette loi étrangère que la cour d’appel a retenu que M. X… était devenu propriétaire de ces titres et en a déduit qu’il en avait valablement transféré la propriété à la société Natixis Life en paiement de la prime du contrat d’assurance souscrit. »
– Enfin, ils énoncent que « la cour d’appel ayant retenu par des motifs adoptés des premiers juges, non critiqués par le moyen, que ni la banque, ni l’assureur n’étaient débiteurs d’une obligation d’information, de mise en garde et de conseil à l’égard de l’assuré, investisseur particulièrement avisé et conseillé, la décision se trouve justifiée par ces seuls motifs. »
Analyse
– Cette solution est, selon certains praticiens, transposable à des contrats d’assurance-vie
- De sociétés françaises
- ou d’entreprises d’assurance de l’Union européenne intervenant en France en libre prestation de services ou en liberté d’établissement implantées dans un autre Etat membre que le Luxembourg.
Ce n’est que dans l’hypothèse où le droit du pays membre de l’entreprise restreindrait expressément cette faculté au plan prudentiel qu’un tel schéma pourrait ne pas être mis en œuvre.
– On relèvera en outre qu’il fut jugée qu’en cas de renonciation du souscripteur au contrat, la restitution des primes a été jugée comme devant être réalisées en numéraire à hauteur de la contrevaleur des titres apportés au jour de l’apport (Cour d’appel de Paris arrêts des 3 décembre 2013, 5 février 2013, 16 septembre 2014 et Cour d’appel de Versailles arrêt du 5 décembre 2013).
– On rappellera que l’administration avait énoncé lors de l’audition devant une commission du sénat en mai 2015, qu’en cas d’illégalité de l’apport de titres, « Elle écarterait donc le contrat, peut-être même sans avoir recours à l’abus de droit, pour constater la réalité des faits.
Dans le cas d’une transmission par décès, elle considérerait que les titres n’ont pu être transmis par voie de contrat, mais par legs ; dans ce cas, la transmission ne bénéficierait pas d’un régime favorable. »
La décision de la Cour de cassation vient d’écarter ce risque.
– L’intérêt d’un apport de titres est limité, d’autant plus si la société est éligible au dispositif Dutreil.
L’assureur présent lors de l’audition au Sénat énonçait, « cela n’a aucun intérêt en ce qui concerne les primes : c’est l’équivalent, pour le souscripteur, d’une vente et d’un achat. Il s’agit d’une simple modalité de service, puisque nous prenons plus ou moins en charge ces opérations. Fiscalement, et même juridiquement, c’est totalement neutre. Je n’en vois donc pas l’intérêt, en dehors du fait que cela peut constituer une facilité pour le souscripteur.
S’interroger sur leur valorisation lors du décès ou du rachat, ce n’est pas chose évidente. S’il y a des appels de fonds, comment les gérera-t-on au fur et à mesure ? Fiscalement, le résident français est soumis à la fiscalité française. En cas de décès, au-delà de certains seuils, sur quoi le prélèvement de 20 % s’opérera-t-il ? S’il doit être réglé sous forme de titres, va-t-on devoir les liquider pour payer ces 20 % – ou 31,25 % au-delà d’un certain montant ? Si l’on détient des actions, il faut intervenir sur le vote des sociétés concernées, la compagnie d’assurance étant propriétaire. »
– On rappellera enfin que la loi Macron, en son article 137, a introduit des règles de remise de titres non négociables codifiées à l’article L.131-1 du Code des assurances.
Cet assouplissement ne concerne néanmoins que les titres sans droit de vote et à la condition que le contractant, son conjoint, leurs ascendants, leurs descendants ou leurs frères et sœurs n’aient pas détenu, directement ou indirectement, au cours des cinq années précédant le paiement, des titres ou des parts de la même entité que ceux remis par l’assureur.